Toponymie marocaine : entre héritages amazighes, influences coloniales et enjeux d’organisation de l’espace
Moroccan toponymy: Between Amazigh Heritage, Colonial Influences, and Spatial Organization Challenges

Prepared by the researche : Mohamed EL MOUAAINE – Docteur et chercheur en langue et littérature amazighes
Democratic Arabic Center
International Journal of Amazigh Studies : Second issue – March 2025
A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin
ISSN 2944-8158
International Journal of Amazigh Studies
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Résumé
Le présent article analyse la toponymie marocaine comme un reflet de l’histoire complexe du pays, de ses diverses influences culturelles et de son organisation spatiale. D’origine majoritairement amazighe, les noms de lieux ont été modifiés au fil du temps, notamment par l’arabisation et la francisation coloniale. Cette dernière a laissé une empreinte durable, caractérisée par une transcription approximative des toponymes, engendrant des déformations encore perceptibles. L’indépendance a marqué une nouvelle phase d’arabisation, tandis que le mouvement amazighe a encouragé la réappropriation des noms originaux. L’étude démontre comment la toponymie fut employée comme outil d’organisation de l’espace, illustrant les stratégies de pouvoir et de développement, du découpage tribal à la régionalisation actuelle. Les critères géographiques, humains, géostratégiques et économiques de cette organisation sont examinés. En outre, l’article aborde les enjeux contemporains de la normalisation des toponymes, particulièrement amazighes, soulignant l’importance de la préservation de ce patrimoine linguistique et culturel. Il insiste sur la nécessité d’une transcription rigoureuse et d’une implication des communautés locales dans ce processus, mettant en exergue la riche diversité linguistique du Maroc comme composante essentielle de son identité et de l’organisation de son territoire.
Abstract
This article examines Moroccan toponymy as a reflection of the country’s complex history, its diverse cultural influences, and its spatial organization. Predominantly of Amazigh origin, place names have been modified over time, notably through Arabization and French linguistic influence during the colonial period. The latter left a lasting impact, characterized by an approximate transcription of toponyms that resulted in distortions still evident today. Following independence, a new phase of Arabization emerged, while the Amazigh movement encouraged the reappropriation of original names. This study illustrates how toponymy served as a tool for space organization, demonstrating power and development strategies, from tribal divisions to current regionalization. It explores the geographical, human, geostrategic, and economic factors shaping this organization. Furthermore, the article addresses the contemporary challenges of toponym standardization, particularly for Amazigh toponyms, highlighting the importance of preserving this linguistic and cultural heritage. It emphasizes the need for rigorous transcription and the active participation of local communities in this process, highlighting Morocco’s rich linguistic diversity as a vital component of its identity and territorial organization.
Introduction
Le Maroc, terre de contrastes et de diversité, se distingue par une richesse culturelle et linguistique exceptionnelle. Cette richesse se reflète de manière particulièrement frappante dans sa toponymie, véritable mosaïque de noms de lieux aux origines variées. Des sommets imposants de l’Atlas aux vastes étendues du Sahara, en passant par les plaines fertiles et les côtes découpées, chaque lieu porte un nom qui raconte une histoire, témoigne d’une influence, ou évoque une particularité géographique.
Cet article propose de mettre en lumière la toponymie marocaine, non seulement comme un inventaire de noms, mais comme une clé de lecture de l’organisation de l’espace et de la complexité des interactions entre l’Homme et son environnement. Nous analyserons les différentes strates toponymiques, des plus anciennes, d’origine amazighe, aux plus récentes, héritées de la colonisation, en passant par les influences arabes, phéniciennes, romaines, et ibériques. L’objectif est de comprendre comment ces noms de lieux, loin d’être de simples étiquettes, sont des marqueurs identitaires, des témoins de l’histoire et des vecteurs de la mémoire collective. De plus, nous examinerons comment la toponymie a été utilisée comme un outil d’organisation de l’espace, reflétant les dynamiques de pouvoir et les stratégies de développement à travers les âges.
1-La toponymie témoin de l’occupation de l’espace au Maroc
Au Maroc, généralement, nommer ou donner un nom pour un lieu prend de nombreuses formes. Les fonds toponymiques comprennent des nominations renvoyant à divers champs lexico-sémantiques et leur inventaire apparaît d’une grande richesse, faisant référence parfois au corps humains (bu kraɛ, fumm-zgiḍ…), aux animaux (Ayt sɣr-uččn, ɛin asrdun…) aux noms de personnes (sidi Ali, mulay Brahim, sidi ḥrazm..),et parfois aux noms d’affiliation (Ayt ɛtab, bu jdur…). Cette diversité toponymique trouve son origine dans la richesse culturelle et linguistique du pays, reflétant les multiples influences historiques et les liens sociaux qui ont façonné ces lieux au fil du temps.
Le Maroc possède incontestablement un riche patrimoine toponymique du fait de la diversité des référents utilisés pour nommer ses lieux et ses territoires. En ce sens, la toponymie marocaine est un processus créé par l’Homme qui a été influencé par différents facteurs tels que l’histoire, la politique et le patrimoine culturel. Certaines régions et villes tirent leurs noms de l’histoire de la domination coloniale. Le chercheur Aqun Muhammad Al-arabi explique dans son livre « Économie et société en Afrique ancienne » qu’historiquement, « les villes nord-africaines étaient les centres de grandes civilisations où le colonialisme », à la plupart des étapes, a incorporé « les éléments civils dans la civilisation des vainqueurs », (Aqun, 2008: 298).
Ainsi, Stéphane Gsell donne de nombreux exemples de toponymes marocains et de noms de villes d’origines diverses. Dans la seconde partie de son ouvrage « Histoire ancienne de l’Afrique du Nord », il annonce que dans les premiers siècles de notre ère il y avait de nombreux noms phéniciens sur la côte de l’Afrique du Nord, et pense que ces noms ont été donnés par les Phéniciens orientaux ou les Calédoniens, (Benboudrouz , 2018).[1]
A l’instar des autres pays de l’Afrique du Nord, l’amazighe fait partie intégrante des toponymes locaux marocains. Les langues autochtones dominent la plupart des noms de lieux du pays. Les noms de lieux marocains à travers l’histoire ont également été influencés par les langues méditerranéennes telles que l’ancien punique ou le latin, l’arabe médiéval et les langues européennes telles que le portugais, l’espagnol ou le français à partir du XVIème siècle et de l’époque coloniale. Les sources écrites en latin contiennent plusieurs toponymes qui témoignent de la profondeur historique de la langue amazighe dans la toponymie marocaine.
Comme l’a souligné Mimoun Hilali (1994 : 133-147), l’importance de la toponymie dans les sociétés locales amazighophones signifiait que l’amazighe était « la langue parlée », forçant, et obligeant encore dans certaines régions, les Hommes à recourir continuellement à « l’utilisation systématique de l’espace » et à une « utilisation appropriée des symboles, des signes » et surtout « des noms ». Ainsi, les cinq types identifiés par le même auteur sont :
- Les toponymes ayant une signification « géo-topographique » comme Iɣil (massif allongé), Azaɣar (plaine) ;
- Les noms « biogéographiques » sont souvent associés à des aspects climatiques tropicaux de la nature de son environnement, tels que asammr et amalu désignant Adret et Ubac ;
- Les noms « géographiques » indiquant la présence de la faune et la flore, e.g. Bouigadre (espace aux aigles) et M’Iaaraar (région aux thuyas) ;
- Les toponymes de référence « historique ou culturelle » tels que le cas de wad sru (dérivé du nom du frère du Sultan Moulay Hassan Premier, Moulay Sourour) et de Timahdit (de l’arabe Hadi signifiant poste de surveillance) ; et enfin
5- « Les toponymes de signification inconnue ».
Plusieurs toponymes, oronymes et hydronymes anciens au Maroc cités dans des sources écrites en grec ou en latin contiennent des preuves linguistiques attestant de l’origine amazighe de l’ancienne oronymie marocaine (Murcia, 2010). Au début du « VIIème siècle », avec l’instauration de l’islam, « des toponymes d’origine arabe ont commencé à apparaître au Maroc ». L’arabe classique, tel qu’il est véhiculé par la religion islamique, s’est répandu parmi les « populations citadines » puis à partir du « XI siècle » a imprégné le monde « montagnard et rural », avec l’arrivée « des tribus arabes bédouines » venues de l’Orient « qui ont véritablement arabisé une grande partie des Berbères » (Camps, 1983 : 15).
Le patrimoine toponymique amazighe du Maroc présente une immense richesse, caractérisée par une diversité de références identitaires. Ces références traduisent bien le sens territorial collectif de la communauté amazighe. Cependant, ce patrimoine toponymique a subi des modifications et des inflexions au cours des siècles, et de nombreux toponymes amazighes sont aujourd’hui perdus et oubliés. Certains toponymes, sont parfois victimes de dénaturalisation, littérale ou non, car convertis de l’amazighe à l’arabe marocain.
Par conséquent, la prononciation des noms de lieux et la prononciation des mots dans les dialectes amazighes deviennent différentes après que le mot d’origine est tronqué. Bien que plusieurs cultures étrangères soient passées par le Maroc, elles ne peuvent effacer les toponymes d’origine amazighe. Les noms de lieux amazighes conservent la plupart des traits phonétiques responsables de leur naissance. Leur sens étymologique est clair pour les connaisseurs de la langue concernée, mais il reste opaque pour les non natifs. Ainsi, les noms de lieux traduisent la culture des gens à travers la géographie et l’histoire politique.
2- L’impact de la colonisation française sur la toponymie au Maroc
Bien que plusieurs cultures étrangères (phéniciennes, romaines, arabes, françaises et espagnoles) soient passées par le Maroc, elles n’ont pas réussi à effacer le toponyme autochtone amazighe, ce qui montre l’enracinement profond de la culture amazighe dans la société et l’attachement de l’Homme à la terre.
Cependant, certains toponymes ont été légèrement modifiés pour s’adapter aux prononciations des langues étrangères, et quelques noms de lieux ont été remplacés par des noms arabes au cours du siècle dernier. Les Marocains peuvent comprendre ce dernier, mais beaucoup de noms sont changés ou déformés avec une orthographe qui empêche parfois de les reconnaître. Dans ce contexte, certains toponymes ont subi une arabisation totale, comme c’est le cas pour la ville de Kenitra, Jadida, Essaouira, ou encore la rivière Oum Er-Rbia, etc. D’autres noms sont partiellement traduits, comme Zemmour, Bir Anzaran, Oued Zem, Ain Taoujdate, Ain Nezha, Ain Aserdoun, Kelaa Seraghna, Kelaa Megouna, etc. De même, les toponymes locaux ont subi ce phénomène de déformation orthographique comme marqué dans la figure ci-après.
Figure 1 : Panneau de signalisation au douar Ayt Waɛli Ičču vers Ayt Zaɣar dans la région d’Imghrane (Ouarzazate)
En 1907 et 1908, la France a créé les « Bureaux Topographiques des Troupes » à Casablanca et dans l’est du Maroc pour produire des cartes de reconnaissance plus complètes visant à faciliter l’occupation militaire du pays (Villanova, 2010). Pour le traitement orthographique des noms de lieux, l’Autorité topographique marocaine décide en 1917 d’adopter des normes de transcription différentes de celles du travail des explorateurs et des missionnaires. Ces personnes – avec une certaine formation linguistique – essaient d’appliquer des systèmes de transcription qui se rapprochent de la prononciation originale des noms de lieux en utilisant des symboles, des digrammes et des signes diacritiques.
En revanche, la nouvelle norme de transcription adoptée par le bureau ne reconnaît que l’alphabet français et n’inclut aucun symbole supplémentaire ni aucun son figuratif emprunté à des langues étrangères (France Armée, 1917). Ces normes sont conçues pour franciser les noms de lieux marocains afin que les autorités françaises puissent les lire sans tenir compte de la prononciation des résidents locaux ou d’éventuelles distorsions et changements de noms de lieux dans les cartes. L’objectif était de faire comprendre les officiers et militaires des indigènes en en prononçant un nom de localité tel qu’il est orthographié sur les cartes du Maroc.
De plus, les noms de lieux amazighes sont transcrits en utilisant le même système de transcription que l’arabe car, de l’avis des responsables du bureau, l’amazighe sonne comme l’arabe avec quelques lettres ou trémas inhabituels. Par conséquent, les transcriptions françaises des mots amazighes suivront les mêmes règles comme des mots arabes (Ibid.).
Les normes orthographiques adoptées par les Français posaient plusieurs problèmes lorsqu’il s’agissait de toponymes amazighes dans la cartographie coloniale. De nombreux noms ont été altérés ou déformés par l’orthographe, les empêchant parfois d’être reconnus. Phonétiquement et phonologiquement, « les consonnes emphatiques (ṣ, ṭ, ḍ, ẓ et ṛ) sont toujours enregistrées comme des consonnes non emphatiques (s, d, t, z et r) », et l’amazighe distingue phonétiquement et phonologiquement ces deux types de consonnes. De plus, « la laryngale /h/ (API : [h]) et la pharyngale /h/ (API : [ħ]) sont vaguement écrits comme <h> ; l’uvulaire /q/ et la vélaire /k/ sont toutes deux écrites comme <k> ». De plus, « les consonnes tendues (ou géminées) » sont souvent transcrites en « une seule lettre ». « Les labio-vélaires /gʷ/, /qʷ/, /ɤʷ/ et /xʷ/ sont représentées comme de simples vélaires : <g>, <k>, <ɣ> et <x> », respectivement. « Le digraphe <ou> représente simultanément la voyelle /o/, la voyelle /u/, et la semi-voyelle ou semi-consonne /w/ ». (Akioud, 2018).
La politique toponymique française au Maroc a des objectifs très clairs et est facile à comprendre compte tenu du contexte de son occupation coloniale. Plus frappant encore, on trouve encore aujourd’hui des exemples de noms de lieux dont l’orthographe remonte à l’époque coloniale sur certaines cartes, panneaux et documents administratifs. Des noms des villes comme Kénitra, Ifrane, Azrou, Rabat, Akka, Marrakech, Goulmim, Larache, etc. ont une forme française qui est loin du vrai nom du lieu qu’elles désignent.
Certes, le seul avantage de la colonisation sur la toponymie marocaine est que les premières études et recherches de toponymie amazighe ont commencé à l’époque coloniale et impliquaient fondamentalement la collecte, la classification et l’analyse sémantique. En prenant pour exemple l’ouvrage d’Emile Laoust de 1940, qui caractérise et analyse la signification des noms de lieux du Haut Atlas à partir de cartes dessinées par Jean Dresch pendant la période coloniale. Dans son travail, Laoust (1920 : 3-4) révèle l’importance de l’amazighe dans la toponymie marocaine, il a effectué des recherches et a conclu que « l’arabisation n’avait qu’un impact relativement faible sur la toponymie ».
Après l’indépendance en 1956, le Maroc s’impliqua fortement dans des projets de reconstruction de l’« État moderne » et d’affirmation d’une identité culturelle et linguistique nationale fondée sur deux composantes : « l’arabisme et l’islam ». En conséquence, les noms de quelques villes à l’image de « Port Lyautey » et « Louis Gentil » ont été renommés « Kénitra » et « El-Youssoufia », et les noms espagnols « Villa Sanjurjo » et « Rincón » ont été remplacés par « Al-Hoceima » et « Mḍiq », au détriment de leur nom amazighe « Tayzut » et « Taymart » respectivement (Akioud, 2018).
Le changement de la toponymie voulait manifester l’ancrage de la dynastie dans la sphère arabo-musulmane en affichant ses référents à l’arabité et à la marocanité au moment des contestations politiques. Des villes comme Ksar Es Souk, Louis Gentil ou encore Fedala ont été renommées par référence à une toponymie chérifienne (Sultan Moulay Rachid, Moulay Youssef, Mohammed V) pour devenir respectivement Errachidia, Youssoufia et Mohammadia.
En effet, le système de transcription des toponymes en caractères latins hérité de l’époque coloniale s’est maintenu après l’indépendance. Les toponymes conservent leurs types et formes francisés et la majorité d’entre eux s’avèrent loin de reproduire fidèlement, en arabe dialectale ou en amazighe, la prononciation des toponymes d’origine.
3- Les formes de l’organisation de l’espace au Maroc
L’occupation humaine du territoire s’est accompagnée du partage de celui-ci. Les raisons varient notamment entre appropriation individuelle ou collective, organisation de la vie politique et affirmation de la souveraineté. Mais le lien entre territoire et pouvoir veut dire que toute division spatiale mesure le pouvoir d’une personne, d’un groupe ou d’une nation.
L’organisation de l’espace géographique au Maroc se concrétise à travers plusieurs formes et types, et suit plusieurs objectifs et stratégies de développement national et local. Auparavant, le Maroc était divisé à l’époque du protectorat en trois zones d’influence étrangère (la zone d’influence internationale à Tanger, la zone d’influence espagnole dans l’extrême nord du Maroc et le sud du Sahara et la zone d’influence française sur le reste du territoire national). Cette division spatiale coloniale était fondée sur le critère de l’organisation tribale dans le cadre de la politique de discrimination raciale entre Arabes et Amazighes, et visait le contrôle politique et pour faciliter la conquête militaire et l’exploitation économique.
À la suite de son indépendance en 1956, le Maroc hérite des « territoires administratifs établis par le Protectorat », conçus principalement pour l’« administration et le contrôle » depuis les « bases littorales » vers l’intérieur du pays. Ce découpage favorisait le développement du « Maroc utile » (côte et plaines) tout en marginalisant le « Maroc inutile » (reste du territoire). Cette dualité, visible aussi dans l’opposition entre « blad siba » et « blad el Makhzen », est toujours présente, soit dans la réalité spatiale soit dans l’imaginaire collectif. Le « maillage administratif centralisateur et puissant » du Protectorat a servi de base aux autorités marocaines pour consolider leur contrôle sur l’espace. Cependant, ce territoire, tel que défini par les colons, s’est rapidement avéré incompatible avec les objectifs de développement de l’État marocain. En effet, « la volonté de mettre en place un État moderne a relégué au second plan la question de la régionalisation », favorisant une organisation basée sur les provinces et les communes comme unités administratives principales, selon le journaliste Samir Hilale. Ainsi, en 1959, le dahir N° 1-59-351 répartit le territoire en 16 provinces et deux préfectures, suivi par le dahir de 1960 qui crée les communes urbaines et rurales. (Article19, 24 août 2016).
En 1971 avec le découpage régional, le Maroc a été divisé en sept entités économiques :
- Le côté sud a comme centre Agadir
- La région Tensift est basée à Marrakech
- Le milieu est Casablanca
- Le côté nord-ouest est Rabat
- Le côté central nord est le centre de Fès
- Le côté centre-sud est le centre de Meknès
- La partie orientale est le centre d’Oujda
Cette division visait à réduire les différences régionales, à réduire la centralisation administrative et économique et à atténuer la pression démographique sur les zones côtières atlantiques, en particulier l’axe Casablanca-Kenitra.
En effet, au Maroc, les critères de la division régionale sont classés selon trois formes ; la première vise l’ « homogénéité » et l’ « intégration naturelle et humaine », la deuxième vise l’ « intégration fonctionnelle », alors que la troisième concerne les « normes politique et géostratégique ». Ibid. Cependant, la multiplicité des formes de l’organisation de l’espace au Maroc ne doit pas réduire la possibilité de concevoir une « segmentation objective du champ ». Ces critères peuvent être définis en « divers déterminants fondamentaux ». (Troin, 2002).
Parmi ces déterminants fondamentaux évoqués, ceux liés à l’environnement physique constituent souvent le point de départ historique et le plus tangible pour appréhender l’organisation d’un territoire. L’influence du relief, de l’hydrographie et du climat est primordiale dans la manière dont les populations se sont initialement réparties et ont structuré leur espace.
3.1 –Les critères géographiques naturels
La nature reste le déterminant principal et le plus important dans la définition des destinations et des choix des localisations et des zones géographiques pour la plupart des populations depuis l’antiquité. Les repères géographiques sont importants dans un mode de vie où l’individu se déplace fréquemment pour survivre. Une source thermale, une rivière, un oued, une montagne, un rocher, etc. sont des repères permettant aux individus de marquer une localité, un bourg et de les représenter. Des zones continuent d’une ou plusieurs extensions de terrain similaires sont souvent combinées à la recherche d’une homogénéité naturelle.
On peut citer en guise d’exemples les unités de plateau oriental (le côté oriental) ou les unités de plaine de la plaine occidentale (Gharb al-Sherarda Beni Hassan) ou des bassins fluviaux comme le Bassin du Tensift (Tensift Al Haouz), mais sans que cela implique la nécessité d’apparier les régions avec les unités de terrain, car d’autres critères interviennent pour compléter le tableau du découpage.
Si le cadre naturel fournit une trame essentielle, comme le soulignent les exemples précédents, il ne suffit pas à expliquer à lui seul la complexité des découpages régionaux. En effet, ces espaces sont habités, vécus et façonnés par des groupes humains avec leurs propres logiques sociales, historiques et culturelles. Ces aspects constituent un deuxième ensemble de critères fondamentaux dans la définition des régions.
3.2 – Les normes humaines et culturelles
Les techniciens du découpage territorial prennent souvent en compte les unités humaines et les formations tribales et ethniques réparties sur le terrain pour regrouper les tribus voisines d’un côté (les tribus sahariennes avec la plupart de leurs ramifications) les trois côtés désertiques, ou de regrouper plusieurs tribus amazighes des deux côtés de Meknès-Tafilalet et Tadla Azilal afin d’atteindre une sorte d’harmonie tribale et culturelle (coutumes, traditions, dialectes, mode de vie, etc).
Des régions avec un lien historique (Meknès-Tafilalet) sont également combinées pour consolider, développer et corriger cette connexion et la faire passer de la dépendance à l’intégration.
Au-delà des considérations liées à l’environnement physique et aux dynamiques socioculturelles, un troisième niveau d’analyse intervient, souvent de manière décisive, dans le processus de régionalisation. Il s’agit des impératifs liés à la gestion administrative, à la sécurité et aux enjeux de pouvoir portés par l’État central. Ces considérations stratégiques peuvent primer sur les logiques d’homogénéité naturelle ou culturelle.
3.3 – Les critères géostratégiques
Les critères géostratégiques sont le critère décisif pour délimiter les frontières des régions. L’État a sa vision sécuritaire et administrative, et à la lumière de celle-ci, la division a lieu, où l’obsession de la sécurité et du contrôle s’impose avec force, dépassant la superficie et le nombre de la population. D’où un certain nombre de centres d’autorité territoriale, allant de la direction à la région.
Les critères géostratégiques semblent également clairs concernant la sélection des côtés frontaliers en raison de leur ouverture aux frontières internationales (le côté oriental, Tanger-Tétouan). Ainsi que les partis qui connaissent des problèmes politiques et frontaliers (Oued Eddahab à Gouira, El-Ayoun, Boujdour, Sakia El-Hamra, Guelmim El-Smara.)
Toutefois, définir les limites externes d’une région, même selon des impératifs stratégiques clairs, ne suffit pas à en garantir la pertinence ou la viabilité. Une fois ces contours tracés, il est essentiel que la nouvelle entité territoriale puisse fonctionner de manière cohérente sur le plan interne. C’est là qu’interviennent les notions de complémentarité et d’intégration économique et sociale.
3.4 – Les normes de comptabilité et d’intégration
Les normes précédentes visent à réaliser l’intégration entre les zones fusionnées en une seule entité, l’intégration en termes de ressources (minéraux, forêts, eau) et d’activités économiques (agriculture, pâturage, industrie, commerce, services) afin que l’entité puisse atteindre l’objectif de polarisation pour lequel elle a été créée et conduite. Toutes ses fonctions, notamment le développement économique et social, et la division visent à chercher la possibilité d’intégrer les zones pauvres et fragiles sous un pôle régional afin de contribuer à leur développement (Tafilalet avec le pôle de Meknès ; Zagora avec le pôle d’Agadir …).
Au-delà de la structuration physique, humaine, stratégique et économique du territoire régional, un autre aspect fondamental participe à la définition et à l’identité de ces espaces : leur désignation. Le choix des noms pour les régions, mais aussi pour les localités qu’elles englobent, n’est pas neutre et reflète des strates historiques, culturelles et linguistiques complexes qu’il convient d’analyser.
4 – Dénomination
La toponymie du Maroc reflète la diversité linguistique et culturelle du pays, témoignant des contacts entre les différentes communautés qui y ont vécu au fil des siècles. Ainsi, les toponymes marocains contiennent des éléments d’origine amazighe, arabe, française et même espagnole. La variété des toponymes marocains est le résultat des échanges linguistiques entre les différentes communautés ayant vécu dans le pays au fil des siècles.
Afin de préserver l’identité culturelle et linguistique du pays, la normalisation de la toponymie est désormais cruciale. Elle consiste à établir des règles pour la transcription et la traduction des noms de lieux, afin d’assurer leur cohérence et leur conformité aux normes linguistiques en vigueur, tout en évitant les erreurs de transcription et les confusions. Ce processus implique la participation de différents acteurs, tels que les autorités locales, les associations culturelles et linguistiques et les universités. Les recommandations établies par des experts en linguistique et en toponymie prennent en compte les particularités phonétiques et morphologiques des différentes langues et dialectes parlés au Maroc. La normalisation de la toponymie marocaine est donc un travail en cours, visant à préserver l’histoire culturelle et linguistique du pays.
4.1 – Contacts des langues dans la toponymie marocaine
Les échanges linguistiques ont eu une grande influence sur la toponymie marocaine, avec de nombreux toponymes « empruntant des mots ou des noms propres à d’autres langues ». Dans ce cadre, Akioud estime que les toponymes amazighes ont également subi des « transformations sous l’influence des explorateurs portugais et espagnols dès le XVIe siècle », qui « ont européanisé » de nombreux noms de lieux marocains, El Mountassir (2023 : 112). Par exemple, « la ville de Casablanca », connue au « Moyen Âge » sous le nom d’ « Anfa », qui signifie en amazighe « élévation de terrain » ou « colline » Taïfi (2016 : 672), a été renommée en arabe sous le nom d’ « Addaṛ al-baiḍae », signifiant « maison blanche », un nom que les Espagnols ont traduit par « Casa Blanca ». D’autres noms de lieux au Maroc ont été francisés ou espagnolisés pendant la période coloniale. Après l’indépendance, certaines villes ont retrouvé leur « dénomination originelle amazighe ou arabe, d’autres ont changé de nom, tandis que certaines ont conservé leurs noms de l’époque coloniale jusqu’à nos jours ». (Ibid.)
Parmi les différentes formes de changements toponymiques qui ont eu lieu, l’arabisation des toponymes amazighes est un processus graduel, reflétant souvent les particularités phonétiques de l’amazighe. À l’inverse, l’amazighisation des toponymes arabes est un phénomène plus récent, encouragé par le mouvement amazighe. Les toponymes francisés reflètent quant à eux souvent les particularités phonétiques de l’amazighe, résultant de la période coloniale française au Maroc.
4.2 – Arabisation des toponymes amazighes
Certains toponymes d’origine amazighe ont perdu leur caractère authentique en raison de leur traduction ou adaptation en arabe marocain. Cela conduit à une prononciation différente du toponyme par rapport au mot d’origine autochtone, souvent due à une troncation du terme initial.
Au Maroc, l’arabisation des toponymes amazighes a été un processus graduel débutant dès l’islamisation de la région. Les noms de lieux ont été adaptés à la prononciation des parlers locales, créant souvent des formes hybrides reflétant les particularités phonétiques de l’amazighe. Les toponymes arabes ont souvent remplacé les noms amazighes premiers, surtout dans les zones urbaines et administratives. Cette arabisation a été facilitée par l’importance de l’arabe en tant que langue sacrée de l’islam et par son usage officiel dans les domaines administratifs et juridiques.
Kaouas (2012) a cité dans ce cadre plusieurs cas de translitération dont des substitutions de lettres, telles que « le remplacement » ou « le passage des lettres initiales » “a”, “u” et “i” à “w”, comme observé dans « Alili » devenant « Walili » ou « Azzan » devenant « Wazzan » ; la « chute du “a” initial », comme dans « Asfru » devenant « Sefru » ou « Ameknas » devenant « Meknès » et la « chute du “t” initial », illustrée par « Timdelt » devenant « Midelt »[2]ou « Tamrirt » devenant « Mrirt », entre autres. Ainsi, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’arabisation des toponymes consiste en « la substitution de ayt par béni, ben » dans la création de toponymes, comme illustré par « Béni-Mellal » ou « Ben Sliman ». De même, l’utilisation de « wlad » suivi d’un nom amazigh pour désigner les descendants d’un chef de tribu, comme dans le cas de « Wlad Sɛid »[3]. En outre, l’adjonction de “bu” ou “abi” pour désigner le propriétaire de la terre a également été évoquée, comme dans des toponymes tels que « Bu Krea ».
L’arabisation s’est poursuivie au fil des siècles, renforcée par l’enseignement de l’arabe dans les écoles coraniques. Pendant la période coloniale française, la promotion de la langue française a entrainé une régression de l’usage de l’arabe. Cependant, après l’indépendance, l’arabisation a été encouragée pour renforcer l’identité arabo-islamique du pays. Actuellement, l’arabisation continue, mais est remise en question par les mouvements amazighes et une prise de conscience de l’importance de la diversité culturelle. Les autorités marocaines ont adopté une politique de promotion de l’amazighe comme langue officielle, contribuant à la reconnaissance de la culture amazighe.
Les consonnes fricatives « x » et « ɣ » en amazighe se remplacent par « q » et « g » en arabe, tandis que les voyelles se modifient également pour s’adapter à la phonologie arabe. Par exemple, la voyelle « i » en amazighe est souvent remplacée par la voyelle « a » en arabe[4]. Cependant, il est important de noter que l’arabisation des toponymes amazighes n’est pas généralisée. Certaines régions ont conservé leurs noms de lieux amazighes (Agadir, Taourirt, Azrou, Tafoughalt, Aguelmous, Ifrane, Ighrem n ougdal, Tinghir, Guelmim, etc), « …En dépit de tout, l’amazighe a pu résister à la domination de la langue de l’islam durant le Moyen Âge et jusqu’à la constitution de l’Etat marocain moderne. Dans le domaine de la toponymie, l’arabisation n’a touché qu’à une petite partie » (Akioud, 2018 : 23). Tandis que d’autres ont subi une arabisation totale (Fam El Hisn, Kénitra, Essaouira, etc). De plus, l’arabisation n’a pas été le seul processus de changement toponymique dans la région. D’autres langues, telles que le français et l’espagnol, ont également influencé les toponymes dans certaines régions.
- – Amazighisation des toponymes arabes
Considéré comme une manière de retrouver et de préserver l’identité culturelle et linguistique des amazighes, le phénomène de l’amazighisation des toponymes arabes est un processus plus récent qui a commencé dans les années 1960 avec le mouvement amazighe. Ce mouvement a mis en avant l’identité et la culture amazighes, qui avaient été longtemps marginalisées sous la domination arabe et coloniale française. Ce processus implique le remplacement des noms d’origine arabe par des noms amazighs. Cette substitution prend différentes formes, influencée par la prononciation locale et l’étymologie du lieu. Par exemple, Fam El Hisn, souvent déformé par les locuteurs arabophones, est devenu Imi Ugadir à son origine ; Essaouira, parfois appelé Tassuṛt par les amazighophones, est également connu sous le nom de Mm Ugadir, son nom colonial étant Mogador, alors que son origine est Amgdul[5]; Casablanca est appelée Anfa ou Tigmmi Tumlilt, Marrakech est désignée sous le nom d’Amur n Wakuč, Rabat est connue sous le nom de Tamsna, etc.
4.4 – Francisation des toponymes amazighes
Les toponymes amazighs ont subi des transformations sous l’influence « des explorateurs européens », notamment « les Portugais et les Espagnols, à partir du XVIe siècle et les Français pendant le XXe siècle ». Ces explorateurs ont « européanisé » bon nombre de noms de lieux marocains, El Mountassir (2023 : 112). Akioud (2018 : 24) souligne que des villes comme « Casablanca », connue à l’origine sous le nom amazigh Anfa, signifiant « élévation de terrain » ou « colline » a été traduit en arabe « addar al-bayḍae الدار البيضاء », signifiant « maison blanche », puis les Espagnols l’ont traduit en « Casa Blanca ». De nombreux autres noms de lieux au Maroc ont subi une francisation ou une hispanisation pendant la période coloniale. Après l’indépendance, certaines villes ont retrouvé leur dénomination amazighe ou arabe d’origine, tandis que d’autres ont été renommées, et quelques-unes ont conservé leurs noms coloniaux jusqu’à nos jours.
Akioud (2018 : 26) souligne que « la politique toponymique de la France au Maroc avait des objectifs bien clairs qu’on peut facilement comprendre en tenant compte de son contexte d’occupation coloniale ». Il observe également que certaines « cartes, panneaux et documents administratifs » continuent à utiliser des « noms de lieu dont l’orthographe remonte à l’époque coloniale », comme « Kenitra, Ifrane, Azrou, Rabat, Marrakech, Akka, Goulmim, Larache, etc ».
Ainsi, l’impact persistant de la politique toponymique coloniale française sur le paysage toponymique actuel du Maroc a entraîné des déformations des noms de lieux. Ces tentatives de déformation ont laissé une empreinte française sur le territoire marocain, remodelant l’espace selon ses propres normes linguistiques.
5 – Normalisation
La normalisation est définie par le Groupe des Experts des Nations Unies (GENUNG) comme suit: « Etablissement par une autorité toponymique d’un ensemble de règles et de critères normatifs applicables par exemple au traitement uniformisé des toponymes », (GENUNG 2007 : 7). La normalisation des toponymes amazighes est un sujet complexe et controversé. En ce sens, les toponymes amazighes se réalisent sous plusieurs formes en raison de la variété des dialectes amazighes et de l’alphabet utilisé (arabe, latin, tifinagh)[6].
De plus, la transcription diffère selon les régions et les supports de transcription. Bien que la transcription demeure un témoin de normalisation toponymique permettant d’offrir des avantages tels que la réduction des erreurs et des doublons(GENUNG, 2007), on se trouve confronté dans ce stade à plusieurs défis, tels que : la diversité linguistique, la transmission orale, l’approche de transcription adoptée, les enjeux culturels et politiques, les obstacles techniques (systèmes d’écriture informatiques et les outils de cartographie), l’administration et les acteurs culturels et les limites de la normalisation (portée géographique de standardisation).
5.1 – Problèmes de transcription
La normalisation et la standardisation des toponymes sont des enjeux importants pour la compréhension et la préservation de l’histoire et de la culture du peuple amazighe. La variation dans la transcription des noms dans différentes langues peut « entraîner des confusions » dans « la compréhension de l’histoire et de la géographie ». De plus, « les altérations dans la prononciation » des noms peuvent rendre « difficile la reconnaissance et la localisation des lieux », (Unesco 1984 : 9).
Figure 2 : Panneau de signalisation au douar Amzzri[7]
Les noms de lieux peuvent être transcrits de manière erronée dans les documents historiques ou dans les bases de données, ce qui peut rendre difficile leur identification et leur localisation précise. Leur normalisation peut donc contribuer à clarifier et à préciser l’histoire et la géographie du peuple amazighe. Cela peut faciliter la recherche et l’échange d’informations entre les chercheurs et les communautés locales, ainsi que la communication internationale sur les questions liées à l’amazighité.
Figure 3 : Transcription de l’agrotoponyme Iɣil zgzawn en arabe[8]
Cependant, il est important de noter que la normalisation et la standardisation des noms peuvent également être un processus complexe et politiquement chargé. Les noms peuvent avoir des significations culturelles et symboliques importantes pour les communautés locales, et les changements proposés dans la transcription peuvent être perçus comme une atteinte à leur identité et à leur patrimoine culturel. Par conséquent, il est important d’impliquer les communautés locales dans le processus de normalisation et de standardisation des noms, afin de garantir que leurs voix et leurs perspectives sont prises en compte.
5.2 – Recommandations de normalisation
La normalisation des noms propres implique une réflexion globale sur la conceptualisation du lexique et de la lexicographie propres aux cultures étudiées, ainsi que sur la graphie adéquate pour unifier leur transcription. Cela nécessite une approche interdisciplinaire et une collaboration étroite entre les chercheurs, les linguistes et les communautés locales. Ainsi, plusieurs recommandations[9] sont proposées par les chercheurs[10] pour la normalisation des toponymes en amazighe, notamment la création d’un comité pour la toponymie amazighe chargé de coordonner les travaux sur la normalisation des noms de lieux, l’établissement et la normalisation de la terminologie géographique, la proposition de normes et de règles d’écriture des toponymes, et la création d’une base de données toponymique. Les propositions de normalisation s’appuient sur le respect de l’usage dans l’amazighe et l’application des règles d’écriture de la langue, tout en respectant les particularités majeures de ses variantes régionales.
Conclusion
En guise de conclusion, la toponymie marocaine se révèle être un miroir fidèle de la complexité historique, culturelle et linguistique du pays. Chaque nom de lieu, qu’il soit d’origine amazighe, arabe, ou européenne, porte en lui une part de l’âme du Maroc. Cette étude a permis de mettre en lumière la manière dont la toponymie a contribué à l’organisation de l’espace, servant tour à tour les desseins des populations locales, des conquérants, des colonisateurs, et enfin de l’État marocain moderne. De l’époque précoloniale, marquée par une toponymie principalement amazighe reflétant une organisation territoriale tribale, à la période coloniale, caractérisée par une volonté de francisation et de contrôle, jusqu’à l’ère post-indépendance, où la toponymie devient un enjeu identitaire et politique, les noms de lieux ont toujours été intimement liés aux dynamiques de pouvoir et aux transformations socio-spatiales.
Aujourd’hui, la question de la normalisation de la toponymie, notamment amazighe, se pose avec acuité, reflétant les défis de la reconnaissance et de la valorisation de la diversité culturelle marocaine. La préservation de ce patrimoine toponymique, témoin des interactions séculaires entre l’Homme et son environnement, est essentielle pour comprendre le passé, mais aussi pour envisager l’avenir d’un Maroc pluriel et riche de son histoire. La toponymie, loin d’être une simple nomenclature, est une invitation à un voyage à travers le temps et l’espace, une exploration des racines profondes de l’identité marocaine.
Bibliographie
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[1] En ligne sur : https://www.yabiladi.com/articles/details/71751/histoire-maroc-d-antan-l-origine-noms.html, consulté le 19/11/2022.
[2]D’après la mémoire collective, le toponyme Midelt est altéré de Tamdultévoquant une sorte de couverture en laine utilisée localement.
[3]Ce type de formation toponymique est fréquemment observé dans les zones tampons des deux aires linguistiques amazighophone et arabophone, comme dans la région de Skoura, située entre Ouarzazate et Imghrane, où l’on trouve des tribus telles que Wlad Yaɛgub, Wlad Bu Yaḥya, Wlad Mrzug, Wlad Ɛmira, Wlad Ɛrbiya, etc.
[4]Le toponyme Aghbala (Aɣbala) dans la région de Béni Mellalest appelé Iɣbula, où la voyelle initiale est « i ». Cependant, lors de l’arabisation de ce toponyme, la voyelle « i » a été remplacée par la voyelle « a » en arabe, ce qui a donné le nom Aɣbala, après altération de Aɣbula.
[5]La racine amazigh GDL est présent dans les dialectes amazighs portant des significations telles que la prohibition et la protection. Les verbes dérivés, tels que gdl et sgdl, expriment des notions d’interdiction et de confrontation. Dans certaines régions marocaines, le terme Agdal désigne des zones interdites aux étrangers, devenues par la suite des quartiers urbains conservant leur nom amazigh. D’autres localités portent également le toponyme Amgdul. On le retrouve notamment dans la commune d’Ayt Umdis, située dans la province d’Azilal. De même, dans la commune de Sidi Abdellah El Bouchouari, relevant de la province d’Achtoukn Ayt Baha, un village nommé Amgdul est présent. Ce toponyme est également associé à Ayt Bobker, une commune de Sidi Ouaziz, dans la province de Taroudant. On le retrouve également dans la commune de Tafrawten, également située dans la province de Taroudant. De plus, dans la commune de Imi en Fast, relevant de la province de Sidi Ifni, le village d’Amgdul est implanté dans la région d’Ayt Ali. Enfin, il est aussi lié à la commune de Talat n Yaakoub, dans la province d’El Haouz, dans la région de Marrakech-Safi.
[6] Dans son article intitulé “Toponymie marocaine et langue amazighe : Enjeux et défis de la normalisation”, Hassan Akioud (2018) aborde la question de la toponymie au Maroc en mettant particulièrement l’accent sur le traitement réservé à la langue amazighe. Il analyse comment, pendant la période coloniale, les autorités françaises ont imposé leurs propres conventions orthographiques et prononciations, et comment, après l’indépendance, le gouvernement marocain a cherché à arabiser et à islamiser le pays. Malgré les efforts actuels pour normaliser et moderniser le système de toponymie, la langue amazighe est souvent reléguée au second plan. L’article suggère la création d’un comité dédié à la toponymie amazighe, visant à coordonner les initiatives de normalisation, tout en proposant des critères et des règles pour standardiser les noms de lieux amazighes. Il aborde également les défis liés à la traduction des toponymes arabes en amazighe, soulignant la nécessité d’une politique globale de toponymie qui respecte la diversité linguistique et culturelle du Maroc. Hassan Akioud avance des directives pour la transcription des toponymes amazighes, prenant en compte les variations régionales tout en respectant les normes orthographiques standard.
[7] Les deux langues transcrivent différemment le toponyme Ičbbakn des Ayt Zaɣar: Ičbakn en arabe et Ičabakn en français.
[8]Les champs d’Iɣil zgzawn, situés au douar Igli des Ayt Zaɣar (région d’Imghrane – Ouarzazate), sont désignés par un agrotoponyme traduit littéralement en arabe dans le manuscrit commercial “الدراع الأخضر – Addi-raɛu Al-Axdar (l’épaule verte)
[9] Hassan Akioud (2018) réitère d’autres recommandations de normalisation pour les toponymes en amazighe, telles que : « la création d’un comité pour la toponymie amazighe ; l’établissement et la normalisation de la terminologie géographique ; la proposition de normes et de règles d’écriture des toponymes et la création d’une base de données toponymique. Il propose également des directives pour la transcription des toponymes amazighes qui tiennent compte des variations régionales tout en respectant les normes orthographiques standard ».
[10] Les propos des chercheurs ont été pris en compte lors des rencontres directes ou des conférences académiques et des études faites sur le sujet Hassan Akioud (2019), Mohamed El Hachimi (2001), Ahmed Sabir, El Houcine Ait Bahcine, etc.