Research studies

L’enseignement de la langue amazighe au Maroc : état des lieux

The Teaching of the Amazigh Language in Morocco: State of Play

 

Prepared by the researcher :  Daoudi Hamou , Faculté des lettres et des sciences humaines El Jadida. Laboratoire “Etudes et Recherches sur l’Interculturel”

Democratic Arab Center

Journal of African Studies and the Nile Basin : Nineteenth Issue – March 2023

A Periodical International Journal published by the “Democratic Arab Center” Germany – Berlin

Nationales ISSN-Zentrum für Deutschland
ISSN  2569-734X

Journal of African Studies and the Nile Basin

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Résumé

La conférence générale de l’UNESCO en 2003 a reconnu les composantes multiples du patrimoine culturel immatériel comme étant le fondement de l’identité et de la diversité culturelle. Les états membres devront prendre des mesures juridiques, administratives et éducatives en vue d’assurer la sauvegarde de ce patrimoine immatériel. Au Maroc, le patrimoine linguistique amazigh, qui véhicule un ensemble de traditions et d’expressions orales, est le garant de la pérennité d’une composante de l’identité nationale marocaine. Dans cet article, nous avons exposé les efforts entrepris au Maroc afin de promouvoir et sauvegarder la langue amazighe. Nous avons présenté, dans un premier temps, un aperçu historique sur cet idiome, l’aire géographique qu’il occupe et le poids de l’amazighe dans le marché linguistique. Dans un deuxième temps, nous avons présenté le processus de l’implantation de l’amazighe dans le système éducatif qui a nécessité certains choix portant sur la langue à enseigner et la graphie à adopter. Nous avons finalement dressé le bilan de l’intégration de la langue amazighe dans le système éducatif qui est encore en deçà des objectifs visés.

Abstract

The UNESCO General Conference in 2003 recognized the multiple components of intangible cultural heritage as the foundation of cultural identity and diversity. The signatory states should take legal, administrative and educational measures to ensure the safeguarding of this heritage. The Amazigh linguistic heritage, a vehicle for a set of oral traditions and expressions, is the guarantor of the perpetuation of a part of the Moroccan identity. In this article, we have outlined the efforts undertaken in Morocco to promote and safeguard the Amazigh language. We have presented, in a first step, the weight of Amazigh in the linguistic market. Secondly, we presented the process of the implementation of Amazigh in the educational system which required certain choices concerning the language to be taught and the spelling to be adopted. Finally, we have drawn up an assessment of the integration of the Amazigh language in the educational system, which is still below the targeted objectives.

Introduction :

     La langue est le principal support d’une panoplie de traditions et expressions orales, sa sauvegarde assure la vivacité de ce patrimoine immatériel ancestral. Dans cette contribution, nous essayons de jeter la lumière sur l’entreprise de la promotion et de la valorisation de la langue amazighe, et principalement dans sa dimension éducative. En effet, la langue et la culture amazighes, longtemps minorées, connaissent un essor considérable favorisé par la création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) en 2001, l’introduction partielle de l’amazighe dans l’enseignement public en 2003 et l’officialisation de cette langue en 2011.

     Dans cet article, nous exposons la situation linguistique de l’amazighe marquée par une forte dialectalisation. Ensuite, nous retraçons le processus de l’intégration de cette langue dans le système éducatif marocain, entreprise qui a impliqué l’aménagement de l’amazighe et l’adoption du mode de son enseignement. La dernière section est consacrée à l’état des lieux du projet de généralisation de l’enseignement de l’amazighe.

I- L’amazighe : Un aperçu historique

     L’amazighe est la langue des populations autochtones de l’Afrique du Nord, elle couvre partiellement un espace qui s’étend de la frontière égypto-libyenne à l’Océan Atlantique et de la rive sud de la méditerranée à certaines régions de l’Afrique subsaharienne. Les amazighophones de ces régions sont enclavés dans des États nations où leur langue est marginalisée et minorée (Boukous, 2007).  La majeure population amazighe se trouve au Maroc, suivi par l’Algérie puis en Lybie et les Touaregs dans les pays subsahariens à savoir le Mali et le Niger. Il existe aussi une population amazighe dispersée dans des zones isolées en Egypte (région de Siwa), en Tunisie et en Mauritanie. Les zones amazighophones sont discontinues parce qu’elles sont entourées de populations parlant d’autres langues comme l’Arabe.

     Au Maroc, l’amazighe se présente sous forme de plusieurs variétés : le tarifit au nord-est, le tamazight au centre et au sud-est et le tachelhit au sud-ouest. La syntaxe et la morphologie sont presque les mêmes dans les trois variétés, tandis que le système phonique présente quelques évolutions, qui finissent par dissimuler l’uniformité originelle du vocabulaire (Chami, 1987).  L’acquisition des variétés amazighes et leur transmission d’une génération à l’autre se fait exclusivement par voie orale.

     Selon les dernières données démolinguistiques, révélées par le recensement général de l’habitat et de la population de 2014, 27% des Marocains parlent la langue amazighe, dont 14.2% le Tachelhit, 7,9% le Tamazight et 4,1% le Tarifit. La proportion des amazighophones est plus élevée en milieu rural (36,6%) qu’en milieu urbain (20,1%)[1]. Cependant, il faut signaler que ces statistiques sont rejetées par plusieurs associations du mouvement culturel amazigh qui ont même appelé à boycotter ce recensement. Les moult violations des critères qui devaient servir de base au recensement et le refus d’intégrer la question relative à « la langue maternelle » dans le questionnaire du recensement sont les raisons du rejet des résultats de ce recensement par le mouvement amazigh. La régression du nombre des locuteurs amazighophones est dû à plusieurs facteurs que nous essayons d’étaler dans le point suivant.

II- L’amazighe au marché linguistique

     Boukous (2004) avance que l’amazighe, dépourvu de toute réalité sociolinguistique et de lettres de références historiques, est une langue vernaculaire défavorisée par la marginalisation aussi bien dans l’espace rural, où il est théoriquement en situation d’usage exclusif, que dans l’espace urbain, où il est en situation de compétition inégale face à l’arabe. Evincé du rang de langue cultivée, la communauté amazighophone fut réduite à des illettrés et des ignorants, en dépit d’une riche tradition culturelle orale. Selon l’auteur, l’autre facteur qui affaiblit davantage cet idiome est le recours massif aux emprunts surtout à l’arabe et au français ce qui en fait une langue à la limite de l’obsolescence.

     El Mehdi Iazzi (1999) rejoint le même constat, il avance que l’amazigh est incontestablement la langue la plus dévalorisée sur le marché linguistique marocain, il explique aussi que le bilinguisme diglossique amazighe-arabe est souvent un bilinguisme de transition puisqu’il tend vers l’unilinguisme arabe.

     De son côté Mouloud Lounaouci (1999) atteste que le berbère a perdu beaucoup de terrain. L’exode rural, l’hégémonie du français et de l’arabe ont entraîné un fort recul. Il ajoute que les espaces berbérophones, qui étaient jusque-là hermétiques, sont aujourd’hui assiégés. Les médias audiovisuels ont pénétré les foyers et des familles de plus en plus nombreuses, même dans les villages les plus reculés, s’expriment dans une autre langue que le berbère. Il confirme que la communauté berbérophone, confinée dans l’oralité et fragilisée par l’environnement idéologique, ne cesse de subir une érosion qui finira par la faire disparaitre si des facteurs de réhabilitation n’interviennent pas. Il avance que les Etats nord-africains assoient l’homogénéité et la cohésion de la Nation par l’imposition d’une norme linguistique unique à tous les citoyens : la langue arabe.

     Quant à Ennaji (2005), il explique que la régression de l’Amazighe est reliée à trois facteurs : premièrement, le phénomène de l’urbanisation rapide déclenché par la forte migration des zones rurales vers les zones urbaines. Deuxièmement, l’exclusion de l’amazighe du système éducatif depuis l’indépendance. La scolarisation des enfants amazighophones a conduit à leur arabisation et à leur incompétence progressive en Amazighe. Troisièmement, de nombreux Marocains considèrent l’Amazighe comme une langue minoritaire, associée au groupe ethnique Amazigh ; et qu’il ne dispose pas d’un champ large de communication puisqu’il n’est pas utilisé dans les domaines de la finance, de la science, de la technologie et des affaires internationales.

       La réhabilitation de la langue amazighe, sa promotion et la garantie de sa survie passent certainement par son implantation dans le système éducatif. Les revendications des mouvements culturels amazighs depuis les années 60 pour une revalorisation de cet idiome ont finalement porté fruit. En effet, à partir de 2003 l’amazighe a été introduit dans l’enseignement primaire. Dans le point suivant, nous étalerons les différentes étapes qui ont précédé l’introduction de l’amazighe dans l’enseignement et les choix retenus afin de mener à bon port ce chantier à savoir l’aménagement de l’amazighe, essentiellement la détermination de la langue à enseigner et le caractère pour la transcrire.

III- L’implantation de l’amazighe dans le système éducatif marocain

  • Le choix de la langue à enseigner

      Le passage de l’amazighe au stade de langue de littératie implique l’aménagement du corpus ainsi que la détermination du statut de cet idiome. Les linguistes se trouvaient devant deux choix :

     Primo, l’élaboration d’un standard régional de chaque grande variété dialectale orale, c’est-à-dire une norme pour le Tachelhit, une seconde norme pour le Tamazight et une autre pour le Tarifit. Certains chercheurs (Lounaouci, 1999 ; El Mountassir, 2009, entre autres) soutiennent ce choix qui correspond aux véritables pratiques langagières. Cependant, le standard régional, selon Boukous (2009), présente des inconvénients à savoir l’intensification de la division régionale en accentuant les particularismes ; la restriction des éventualités d’un développement endogène de l’amazighe par le croisement des ressources langagières ; le freinage de la circulation des expressions culturelles régionales et leur enrichissement mutuel.

     Secundo, opter pour un standard national qui sera enseigné, sur tout le territoire marocain, aux Amazighophones et Arabophones. Il devrait être élaboré à partir de la standardisation par composition des géolectes de l’amazighe dans l’espace national. Les locuteurs devront sentir un continuum entre leur usage quotidien et le standard national qui est nécessaire et indispensable pour garantir la sécurité linguistique et culturelle des locuteurs des différentes aires dialectales amazighes (El Mountassir, Ibid). La décision finale de l’IRCAM fut d’adopter un standard national qui doit servir de langue nationale, officielle et véhiculaire assurant les principales fonctions d’une langue moderne au sein de la société. La nouvelle grammaire de l’amazighe, publiée en 2008, explicitent les principes de ce choix :

  • « viser l’unité de la langue : on retient comme outils ou morphèmes fondamentaux ce qui est commun aux différentes variétés ou ce qui est le plus fréquent ;
  • sauvegarder la richesse de la langue au niveau des outils grammaticaux mais aussi au niveau des structures ;
  • laisser une place à la variation : elle est source de richesse linguistique, et pourra être exploitée à des fins stylistiques » (Boukhris et al., 2008 : 12-13)
  • Le choix de la graphie

     La promotion d’une tradition écrite de l’amazighe repose sur l’élaboration d’un système graphique qui permettra de revitaliser et de moderniser cette langue pour des besoins scientifiques et technologiques. Un système d’écriture vise à identifier les sons vocaux d’une langue et à assurer leur utilisation permanente. L’amazighe a été noté depuis des siècles dans les alphabets arabe ou latin et les Touaregs sont les seuls qui n’ont jamais perdu l’usage de l’écriture tifinaghe. Le choix d’un support graphique a soulevé et soulève encore une polémique houleuse entre les partisans de chaque caractère.

      «Sur le plan des systèmes d’écriture, trois graphies sont en concurrence ; à armes inégales bien sûr. Selon les pays et les régions, c’est l’un des trois systèmes qui domine. Les trois systèmes sont celui des caractères arabes répandu au Maroc (…) ; ensuite le système des caractères latins usité en Kabylie et à un degré moindre au Maroc ; enfin les tifinagh utilisées surtout dans les pays où le berbère est reconnu (Niger, Mali et Burkina Fasso). Il faut de même noter que le Maroc est le seul pays où l’on rencontre les trois graphies. Tant pour les transcriptions que pour les graphies, il y a des défenseurs et des détracteurs. Les arguments vont de l’idéologie à la science en passant par les commodités présentées par tel ou tel système. » (Benlakhdar, 1994 : 19-24)

     Les partisans du caractère arabe évoquent l’homogénéisation du système de transcription nationale, c’est l’écriture du message divin et son choix exprime réellement la volonté de s’intégrer dans la société orientale. Cependant, les détracteurs de cet alphabet pensent que le système d’écriture arabe est un système consonantique inapproprié à écrire la langue amazighe.

     Pour les défenseurs de l’alphabet latin, ils y voient la seule condition pour une « langue moderne », qui pourrait ainsi dépasser les frontières du Maghreb et s’internationaliser.

« D’un point de vue pratique et stratégique, le système des caractères latins est le

plus attrayant. D’abord, il est économique. Il ne compte qu’un nombre limité de

caractères. (…) Ensuite, et si on le vise à long terme, en fonction des rapports de

force actuels et futurs, c’est le système qui est le plus utilisé comme support de

vulgarisation du savoir, qu’il soit technologique ou autre.» (Idem.)

 Ceux qui s’opposent à cet alphabet estiment que l’usage des caractères latins renvoie à la domination politique et culturelle de la France et, à travers elle, celle de l’occident.

     Quant aux partisans de l’adoption de la graphie tifinaghe, ils veulent conserver à l’amazighe les caractères dans lesquels elle était écrite depuis l’antiquité et y voient un symbole de l’identité amazighe. D’ailleurs, les associations amazighes adoptent comme symbole le «ⵣ» (z), une lettre de l’alphabet tifinaghe.

     L’Institut Royal pour la Culture Amazighe (IRCAM) a pris à contre-pied ces deux options, en optant en 2003 pour l’alphabet tifinaghe en vue de la retranscription officielle de la langue amazighe et de son implantation dans le système scolaire marocain. Ennaji (2005 : 92) explique que ce choix était la solution adéquate pour éviter le conflit entre les islamistes et les activistes amazighs. Les Amazighophones natifs y voient un bon choix parce qu’il renforce l’identité amazighe, consolide l’autonomie de la langue et démontre que la culture Amazighe est l’une des plus ancienne de la région qui remonte à plus de deux mille ans.

  • La modalité de l’enseignement de l’amazighe

     L’intégration de l’amazighe dans le système éducatif impliquera la précision du rôle assigné à cette langue : langue nationale à généraliser ou à réserver uniquement à certaines régions ; langue enseignée ou langue d’enseignement des autres matières littéraires, scientifiques, etc. El Mehdi Iazzi (1999) pense que pour généraliser l’enseignement de l’amazighe, il y a quatre formules possibles pour le réglementer :

  • Instaurer un enseignement au choix uniquement dans certaines régions: cette formule confirme le statut régional reconnu à l’amazighe et implique les attitudes des locuteurs amazighophones ou arabophones installés dans ces régions en leur accordant le libre choix ;
  • Généraliser l’enseignement dans certaines régions : En effet, tous les citoyens qui vivent dans les régions retenues sont en principe tenus d’apprendre l’amazighe. Cependant, la régionalisation de l’enseignement de l’amazighe signifie que toute personne amazighophone qui choisit de quitter une de ces régions, est obligée de sacrifier sa langue.
  • Laisser le choix au niveau national: Cette formule laisse le choix à tous les citoyens d’apprendre ou de ne pas apprendre l’amazighe à travers tout le territoire national. Toutefois, cette option instaure une ségrégation linguistique (langues obligatoires « arabe et français » vs langue optionnelle « amazighe » ;
  • Généraliser l’enseignement de l’amazighe à tous les citoyens marocains: Cette option institue l’enseignement de l’amazighe en termes de “devoir national” valable pour tous et partout, elle généralise le bilinguisme amazighe-arabe, atténue le choc des langues, neutralise les clivages linguistiques actuels et favorise la libre circulation des citoyens.

     Dès 2003, le Maroc a opté pour une généralisation de l’enseignement de l’amazighe à tout le territoire national, qui couvrira graduellement les six niveaux du cycle du primaire. Il est obligatoire pour les apprenants amazighophones aussi bien que pour les apprenants arabophones. Le ministère de l’éducation nationale a destiné des notes ministérielles à l’organisation de l’enseignement de l’amazighe. Le tableau ci-dessous expose leurs objets et leurs contenus.

( Cf. دليل مدرس (ة) اللغة الأمازيغية في السلك الابتدائي , 2017)

Note N° Date Objet Contenu
108 1er septembre 2003 l’introduction de l’enseignement de

l’amazighe dans les cursus scolaires

– Introduire l’amazighe à l’école ;

– Solliciter l’adhésion des enseignants de langue amazighe ;

– renforcer et diversifier les activités d’encadrement ;

– Proposer un programme

favorisant une langue standard.

82 20 juillet 2004 Organisation des sessions de formation en

didactique de l’amazighe

– Actualiser la carte scolaire

concernée par l’introduction de

l’amazighe ;

– Définir les dates et le nombre des

sessions de formation en

amazighe.

130 12 septembre 2006 Organisation de

l’enseignement de

l’amazighe et la

formation de ses

enseignants.

-Des propositions à la lumière de l’évaluation de la situation de l’enseignement de l’amazighe les trois dernières années ;

-Etablir un nouveau emploi du temps pour le cycle primaire ;

-Réorganiser la structure hebdomadaire des composantes du cours de l’amazighe ;

– Créer des programmes de

formation en amazighe dans les

Centres Régionaux des Métiers de l’Education et de la Formation (formation initiale).

VI- L’intégration de l’amazighe dans le système éducatif : quel bilan ?

      Plus de 18 ans après l’amorçage de l’enseignement de l’amazighe à l’école publique, le processus de sa généralisation horizontale et verticale marque un retard exceptionnel. Les raisons de la lourdeur de ce projet sont d’ordres différents. Des entraves d’ordre politique, comme en témoigne en 2005, le communiqué du retrait du conseil d’administration de l’IRCAM publié par sept de ses membres[2] pour protester contre l’absence de volonté politique du gouvernement de promouvoir l’amazighe, l’immobilisme et le mépris officiel pour les engagements pris. L’autre aspect politique de cette réticence est l’ajournement de la promulgation d’une loi organique qui définit le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe, ainsi que des modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, cette loi n’a été voté qu’en 2019 (huit ans après l’adoption de la nouvelle constitution en 2011).

      Dans une intervention à la chambre des conseillers en 2018[3] , le premier ministre Saad Eddine El Othmani a présenté certaines statistiques relatives à l’intégration de l’amazighe dans le système éducatif :

– Plus de 4200 établissements scolaires enseignent la langue amazighe totalement ou partiellement ;

– Plus de 500 000 élèves bénéficient de cet enseignement ;

– 5000 enseignants assurent ces apprentissages dont 414 professeurs spécialisés, lauréats des centres régionaux des métiers de l’éducation et de la formation, outre 150 enseignants en formation.

– 71 inspecteurs encadrent l’enseignement de l’amazighe ;

– 11 000 enseignants ont suivi des formations spécialisées en domaines de l’enseignement de la langue amazighe.

    En revanche, le niveau du déploiement de l’enseignement de l’amazighe, horizontalement ou verticalement, reste en deçà des chiffres que le ministère de l’Éducation nationale supposait atteindre. La réalisation des objectifs escomptés en matière de la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe se heurte à plusieurs obstacles. Le manque de corps enseignant et la faible formation constituent la majeure entrave à laquelle est confronté ce projet. Les professeurs de l’amazighe ne disposent pas de compétences requises pour cet enseignement faute de formation adéquate (excepté les lauréats des CRMEF, crées au titre de l’année scolaire 2012/2013, qui ont suivi une formation pédagogique et didactique), beaucoup n’ont pour formation initiale que quelques jours. Des maitres de l’arabe et du français ont été engagés sans même que certains d’entre eux soient des locuteurs amazighophones, ils se plaignent du manque d’encadrement de rareté des manuels scolaires. De plus, l’amazighe est rejetée du système d’évaluation et n’est pas prise en compte lors du calcul des moyens ce qui pousse les élèves à ne pas lui accorder d’importance.

     En outre, certaines délégations du MEN n’hésitent pas à charger des professeurs de l’amazighe d’enseigner d’autres matières comme l’arabe et le français ce qui montre le dédain que certains responsables de ce ministère ont pour l’amazigh. Dans plusieurs établissements, soit l’amazighe est enseignée uniquement au niveau de la première et la deuxième année, soit il est enseigné d’une façon discontinue ce qui n’augure pas d’une réelle implication de certains cadres scolaires.

     Dans le but d’examiner les moyens d’accélérer la généralisation de l’enseignement de l’amazighe dans les trois cycles de l’enseignement, le ministre de l’Éducation Nationale et le recteur de l’IRCAM ont tenu une réunion le 30 décembre 2020. A l’issue de cette rencontre, plusieurs décisions ont été prises :

–  La reprise des travaux du comité bilatéral mixte entre le ministère de l’Education Nationale et l’IRCAM ;

– L’augmentation du nombre d’enseignants spécialisés en langue amazighe en formant 1000 enseignants supplémentaires d’ici 2022 ;

– La généralisation de l’enseignement de l’amazighe dans les cycles primaire et collégial entre 2024 et 2030 ;

– La formation de 3000 professeurs d’enseignement primaire et collégial durant la période 2024-2030 ;

– L’introduction d’un module spécialisé en langue amazighe dans la formation de base des inspecteurs et des cadres de l’administration pédagogique ;

– L’augmentation du nombre de cycles des études amazighes dans les universités ;

– La mise à jour des programmes pédagogiques du cycle primaire en y incluant le nouveau curriculum de la langue amazighe ;

– L’élaboration d’un curriculum de l’amazighe du cycle secondaire collégial à partir de la rentrée scolaire 2022, et un curriculum de l’amazighe dédié au cycle secondaire qualifiant à partir de 2023 ;

– Doter la langue amazighe d’outils d’évaluation dans le cadre du programme national d’évaluation à l’instar des autres matières ;

– La réalisation de cours numériques incluant tous les niveaux du cycle primaire et le développement de l’usage des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement de l’amazighe (voir le site de l’IRCAM).

Conclusion

     L’expérience de l’enseignement de l’amazighe n’en est encore qu’à ses débuts, mais il est évident que des mesures doivent être prises pour résoudre les divers obstacles qui handicapent cette opération. Certains estiment que l’adoption de la graphie tifinaghe est une difficulté supplémentaire étant donné que les élèves apprennent déjà deux alphabets à l’école (l’arabe et le latin), et que l’un des deux aurait pu être adopté pour écrire l’amazigh. De même, demander à un enseignant d’enseigner l’amazighe qu’il n’a jamais parlé, après une formation de 15 jours, relève de l’irrationnel. La solution serait d’avoir une volonté politique réelle de promouvoir cette langue et d’assurer les ressources humaines et les outils pédagogiques adéquats afin de réussir le projet de la généralisation de l’enseignement de l’amazighe et la sauvegarde de ce patrimoine immatériel.

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Boukous, A. (2009), « Aménagement de l’amazighe : pour une planification stratégique», in Asinag, Nº 3, p.13-40.

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Calvet, L-J. (1987), La guerre des langues, Editions Payot, Paris

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An Introduction to Moroccan Arabic and Culture, Georgetown University Press.

[1] Ces statistiques peuvent être consultées sur le site du haut-commissariat au plan www.hcp.ma

[2] Les signataires sont Dr Abdelmalek Houcine OUSADDEN, Mohamed BOUDHAN, Hassan BANHAKEIA, Mohamed AJAAJAA, Mimoun IGHRAZ, Ali BOUGRINE et Ali KHADAOUI. Consulter le communiqué sur le site : http://tawiza.byethost10.com/Tawiza103/communiqueFR.htm?i=1

[3] Lors de la séance plénière mensuelle tenu dans la chambre des conseillers le 19 juin 2018, le chef du gouvernement répond à une question relative au développement des langues et des expressions culturelles nationales.

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